Pour pouvoir mieux construire en zone inondable, ils veulent donner aux habitants le "goût du risque"...
Avons-nous vraiment besoin de construire en zone inondable? Sommes-nous aux Pays-Bas ou au Bangladesh, pays très densément peuplés et composés à 80% de zones inondables ? Non, et pourtant, quelques cerveaux échauffés ont lancé l’idée de construire des bâtiments sur des zones inondables. Un programme de recherche a même été lancé par l’Etablissement Public Loire, qui est composé à 100% d’élus locaux.
N'oublions pas que le secteur du BTP est une importante source de revenus pour les partis politiques.
Vichy Communauté (ex-Vichy Val d'Allier) tient une place de choix dans le Rapport de Présentation de ce projet de recherche, intitulé "La Constructibilité en Zone Inondable, Mise en perspective opérationnelle", et téléchargeable à partir de cette page. C'est l'un des pionniers de cette nouvelle tendance.
Extrait de "La Constructibilité en Zone Inondable,
Mise en perspective opérationnelle", novembre 2020, p. 39.
En effet, en 2019, Vichy Communauté a réussi à convaincre la Préfecture de laisser construire un large projet immobilier sur la rive gauche de l’Allier, qui est entièrement inondable (lire ici et ici).
Attention, il ne s'agit pas de protéger les habitations existantes, mais d'en construire de nouvelles en contournant habilement la législation – un petit mode d'emploi est fourni plus bas.
Dans une des fiches thématiques de ce projet, on apprend comment rendre les inondations tolérables aux habitants en favorisant une "culture du risque"... Allons, une petite inondation de temps en temps, ça ne fait de mal à personne !
Favoriser une culture du risque
Il faut, écrit le rapport en p. 9, "développer une culture du risque encore trop peu présente en France." C'est une bonne idée si cette expression veut dire: engager la population à être prudente et à se tenir prête en cas de catastrophe.
Mais c'est une mauvaise idée si cette expression veut dire: amener les français à être moins exigeants, moins regardants sur le risque, voire à renoncer à leur désir de sécurité. C'est-à-dire, les amener à être fatalistes, comme le sont certaines populations défavorisées.
Pour cela, on n'hésite pas à faire de l'ingénierie sociale:
"les sciences comportementales peuvent être un outil important pour comprendre l’état d’esprit d’une société et permettre l’amélioration de l’efficacité des outils d’information et de culture du risque." (p. 33 de ce document).
L'idée est, entre autres, d'habituer les habitants à vivre avec la présence intermittente de l'eau chez eux:
"Une évolution culturelle doit avoir lieu vis-à-vis
du risque inondation en France …
la présence de l’eau qui arrive et vient sans
dommages peut-elle permettre de renouer le lien
entre les habitants et la rivière, provoquer et
favoriser l’émergence d’un nouveau rapport au
risque ?" (p. 72)
Ne sommes-nous pas issus de créatures amphibies? Renouons avec nos racines ! Réapprenons à vivre, tantôt dans l'eau, tantôt hors de l'eau !
Photo Renaud Baldassin, 2020.
Il faut aussi, dit le Rapport, apprécier les "conséquences sociales positives" des inondations, et cultiver dans la population une nostalgie pour ces épisodes marqués par un regain de solidarité (p. 35 de la fiche thématique).
L'étude recommande même des ouvrages qui font l'éloge des catastrophes ou, plus généralement, des épreuves:
Extrait de: "La Constructibilité en Zone Inondable,
Mise en perspective opérationnelle", p. 37.
Le livre Le désir de catastrophe, par exemple, critique l'écologie et invite chacun à se reconnecter au "désir de catastrophe" qui dort en soi.... "Ah, il nous faudrait une bonne guerre !"
Quelles que soient les vertus qu'on peut leur trouver, les inondations, incendies et autres catastrophes génèrent avant tout du malheur et du gâchis, et ce n'est pas vraiment le rôle de nos dirigeants que de les favoriser. C'est même exactement le contraire: "gouverner c'est prévoir", et nos dirigeants sont payés pour éviter le gâchis et protéger les populations.
Comme on l'a vu avec la crise sanitaire du Covid, il faut cultiver les réflexes de prudence chez les citoyens, plutôt que d'essayer de leur faire aimer les risques environnementaux.
Plus de 50 millions d'euros vont être investis sur cette zone inondable.
N'oublions pas que le secteur du BTP est une importante source de revenus pour les partis politiques.
Panneau informatif à l'entrée du Centre Omnisport à Bellerive-sur-Allier, 2020
Pour en savoir plus...
En attendant de "changer les mentalités", voici comment les auteurs du Plan de Protection du Risque Inondation (PPRI) de 2019 ont réussi à rendre acceptable, sur le plan juridique, la construction en zone inondable.
Mode d’emploi pour contourner la réglementation
sur le risque d'inondations
Pour pouvoir construire sur une zone inondable, Vichy Communauté s’est appuyée sur un concept fait maison, celui d’Espace Stratégique de Requalification (ESR).
« Stratégique », ça fait toujours bien.
La notion d’ESR est décrite en page 40 du règlement du PPRI, également reproduit tout au bas de notre article sur le plateau sportif.
Voici la marche à suivre:
1 – Vous affirmez que votre projet est urgent et indispensable car votre ville est en pleine déliquescence : le projet répond à « des besoins forts de requalification et de renouvellement de l’espace urbain ». Bellerive-sur-Allier ressemblerait-elle à Brooklyn?
2 – Vous définissez habilement l’espace du projet pour qu’il comprenne une zone d’aléa modéré et des zones d’aléa fort et très fort. Vous prévoyez de construire sur la zone d’aléa modéré, « en échange » de ne rien construire sur les deux autres zones.
La carte des ESR (ci-dessous) est instrumentalisée pour les besoins de la cause, et ressemble un peu à du découpage électoral. Ainsi, l'ESR n°2 comprend deux territoires déconnectés l'un de l'autre:
Les cinq zones notées en rouge sont des ESR
(Espaces Stratégiques de Requalification)
Extrait de: "La Constructibilité en Zone Inondable,
Mise en perspective opérationnelle", p. 49.
3 - La zone de projet doit contenir des bâtiments qui ont peu de valeur pour vous (en l'occurrence, des maisons occupées par des gens du voyage). Vous les démolirez en échange de pouvoir construire des bâtiments flambant neuf. Ces démolitions vont faire baisser la « vulnérabilité » totale sur la parcelle habilement découpée pour les besoins de la cause. Ainsi, dans l'ESR n°2, les démolitions des maisons occupées par des gens du voyage, situées dans la partie Sud, vont permettre de construire sur le Centre Omnisport, au Nord.
Ainsi, on crée l'illusion d'avoir neutralisé le risque.
Et cela donne une excuse pour contourner l'interdiction de construire sur des zones inondables.
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